Monique de Kermadec Ph.D., psychologue, psychanalyste, accompagne depuis plus de vingt ans enfants et adultes surdoués. Elle est l’auteur de huit livres sur la douance dont les plus connus sont L’adulte surdoué et La femme surdouée.
Comment a évolué la perception au haut potentiel ?
Plutôt dans le bon sens. Il y a quelques petites décennies, disons au mitan des années 90, le haut potentiel était surtout vu comme la spécificité des enfants,
principalement les garçons, et par le seul prisme de la souffrance. Nous sommes, en France, dans une société fondamentalement égalitaire. Autrement dit, si l’on était “sur doué“, cela s’accep- tait mieux si ce surplus de points de QI était compensé par une souffrance.
CETTE VISION EST-ELLE AUJOURD’HUI RÉVOLUE ?
Oui. Les années ont permis de constater un intérêt croissant pour le sujet.
Les publications, d’abord centrées sur les enfants précoces ont progressivement inclus les adultes tant dans leur vie personnelle que professionnelle.
L’ouverture aux filles a de même marqué cette période. La place des femmes et de leurs spécificités est aujourd’hui acquise. Si certaines difficultés font encore l’objet d’articles, les atouts sont de plus en plus évoqués. Enfin, une approche plus contextuelle est maintenant perceptible.
Y’A-T-IL EU DES DÉRIVES ?
Oui. Déjà, commerciales. On ne compte plus le nombre de Unes de grands magazines généralistes, de séries. C’est un sujet à la mode. C’est une bonne chose, car l’on en parle davantage, mais c’est aussi un danger, car il ne suffit pas d’avoir consulté quelques forums pour s’autoproclamer expert.
C’est un sujet complexe, polymorphe. Ensuite, je regrette parfois une certaine culture de l’antagonisme : certains chercheurs veulent avoir raison “contre“, imposer leur vérité. Or la psychologie, les sciences humaines et sociales, les neurosciences, peuvent et doivent travailler de concert, pas les unes contre les autres.
L’Etat devrait-il jouer un rôle de régulateur dans ce débat ?
L’État au sens strict, non, je ne pense pas. L’Éducation Nationale, pourquoi pas. On voit émerger un certain nombre de structures d’enseignement spécialisées, éventuellement hors contrat, avec des résultats parfois intéressants. Mais n’oublions pas qu’il y a tout de même, à la fin, un examen à passer suivant un tronc commun de connaissances et que l’enseignement hors contrat ne peut pas tout se permettre. Il faut également rester vigilant à la tentation déjà avérée de l’État, sur d’autres sujets, de stigmatiser la différence. De là à considérer le haut potentiel comme un handicap, il n’y a qu’un pas relativement court et dont il faut évidemment se méfier.
VERS QUELS CHAMPS PROGRESSER, À PRÉSENT ?
Nous avons jusque-là considéré l’intelligence sous un angle strictement individuel. L’avenir, sa construction et sa gestion vont nous inciter à élargir ce concept et à nous intéresser à la notion d’intelligence collective. Nous aurons de plus à redéfinir et à élargir ce que nous considérons utile pour une vie positive. Savoir gérer au bon moment certaines intelligences plutôt que d’autres sera essentiel. Nous sommes dans un monde en mutation qui nous offre un merveilleux challenge et un terrain de jeu pour tous les esprits, vifs, créatifs et passionnés.
ET DANS LE RESTE DU MONDE, COMMENT ÉVOLUE LE SUJET HP ?
Cela progresse partout, mais pas de manière uniforme. Je le vois notamment au travers du World Council for Gifted and Talented Children, dont je suis membre. Il faut bien comprendre que l’intelligence est relative : elle n’est pas appréciée de la même manière en Chine, aux États-Unis ou en Belgique. C’est d’ailleurs plutôt une bonne chose. L’échange est important, le partage de découvertes aussi, mais le copier-coller ne fonctionne pas. Chaque nation a un bagage culturel qui lui est propre. La différence n’est pas acceptée partout de la même manière. Les États-Unis, Israël, l’Angleterre, ont mis en place des accompagnements très tôt. Japon, Corée du Sud, misent encore beaucoup sur la réussite individuelle. La neuro-diversité se nourrit avant tout… de la diversité.
Propos recueillis par Olivier Müller
Cet article est issu du 1er numéro du magazine « Regards Pluriels sur le Haut Potentiel ». Pour vous abonner gratuitement et recevoir mon actualité, cliquez sur le bouton ci-dessous :