Le chemin de la (re)connaissance de la douance est parfois sinueux et plein de détours.
Si le sentiment de différence est souvent bien présent les errances avant de mettre un mot sur sa différence sont autant de souffrance quand les curseurs ne pointent pas dans le bon sens.
Loin de moi l’idée de généraliser, mais le chemin vers mon étiquette HP a été tortueux et torturé, avant de faire les rencontres bienveillantes qui m’ont enfin aiguillées.
De la dépression à la schizophrénie, avec les traitements associés, mettre un mot sur ma différence a été compliqué.

S’il a longtemps été fréquent de se (re)trouver dans la douance en explorant le fonctionnement de ses enfants, et à se retrouver dans leur fonctionnement différent, on observe aujourd’hui une autre « tendance » : le burn-out.
Si le burn-out peut toucher tout le monde il semblerait que les individués HP soient particulièrement impactés, par leur hypersensibilité, leur difficulté à rentrer dans les cases imposées, leurs doutes parfois sur leurs capacités, leur tendance à déranger en allant plus vite, plus loin, plus… bref la liste est longue, et surtout nous avons chacun notre propre combo de particularités, mais aussi une tendance (épuisante) à nous suradapter.
Et se suradapter c’est épuisant, même si pas forcément conscient.

Quand la normalité épuise

Le burn-out a quelque chose de dévastateur. Épuisement par excès de stress chronique. C’est très violent physiquement, mais ça touche aussi l’estime de soi, et une impression plus ou moins diffuse d’avoir failli aux injonctions de performance à tout prix.

Difficile dans ces moments d’imaginer que notre burn-out puisse être en partie lié à la douance et notre fonctionnement particulier, encore plus sous l’appellation « sur-doué ».

Et pourtant ce sentiment de décalage omniprésent, parfois teinté de quête de sens ou de jugement est très déstabilisant quand on n’a pas encore mis en lumière son fonctionnement.

Pour ne pas déranger, ou (d)étonner, on va porter un masque de normalité. Ce fameux « faux-self » social, qu’on a tous dans une certaine mesure, mais qui peut être particulièrement envahissant quand il masque un atypisme.
C’est un peu comme rouler en permanence avec le frein à main alors que notre moteur ne sait que fonctionner en accéléré : usant.
Et ça ne vaut pas que pour nos cerveaux…

Entre le décalage, qu’il soit ou non étiqueté, les messages contraignants, qui sont autant d’injonctions à performer, et le faux self, qu’il soit contrôlant ou sur-adapté nous sommes hélas nombreux à nous être déconnectés de nos émotions.
Mais une émotion ne peut pas rester enfermée bien longtemps, à fortiori pour nous hypersensibles…

Et cette combinaison de capacités bridées et d’émotions étouffées semble avoir tendance à précipiter l’épuisement chez certains profils HP.
Cécile Bost parle de « cope out », un burn-out de la suradaptation, j’aime beaucoup cette image.

Bien sûr là encore ne généralisons pas il y a, et heureusement, des HP qui vont très bien, mais nous sommes aussi nombreux à passer par la case burn-out (voire les collectionner).
Et pourtant mettre un mot sur sa différence après un burn-out reste un challenge, et on a vite fait d’être mal aiguillés.

 

Bilan et épuisement : le double challenge

Le burn-out est là, c’est un fait (quoique là encore il y aurait beaucoup à dire sur la différence entre burn-out et dépression…).
Mais surtout par un heureux hasard un a croisé un.e ami.e, un proche, un article, un livre qui parlait d’atypisme, des particularités des zèbres au travail, d’hypersensibilité, de burn-out des profils atypiques… et l’idée à germé.
Je passe les aller-retours entre « et si » et « non mais pas moi c’est pas possible », et toutes les nuances intermédiaires : l’idée à grandi, et vient la question du test de Q.I.
Oui, mais.

Passer un bilan n’est pas SI évident quand on a un cerveau, même atypique, qui est passé au rouleau-compresseur du burn-out.
Difficultés de concentration, de prise de décision, cerveau jet-lagué, perte du sentiment d’accomplissement : même s’il n’y a pas de « raté » au bilan (on n’est plus à l’école, heureusement !), je doute que les tests passés en plein burn-out soient toujours bien révélateurs de nos particularités, en tout cas sur la partie score…
(heureusement on peut se rattraper sur l’oral, la partie échange et observation par le thérapeute !)

Le fait est que récupérer d’un burn-out prend en moyenne 18 mois, je dis bien en moyenne les HP ont le don de tout faire plus vite (pas forcément pour leur bien), et les faux-négatifs ne sont probablement pas si rares…
Et là : retour à la case départ.
Interrogations, doutes, questionnements… Est-ce que je suis folle ? Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ?
Et la quête continue…

 

Montagnes russes, bipolarité et TPV

Si j’en crois les retours de mes clientes l’étiquette « bipolarité » a un (haut) potentiel dans la quête d’étiquette pour nos profils atypiques. De mon côté j’avais pioché « schizophrénie », mais chaque quête est différente, et j’ai un profil « doublement exceptionnel » qui a ses propres particularités (douance et autisme, pas évident à détecter).

Le fait est qu’en tant que HP on a une tendance à gérer notre énergie par vague, et en post burn-out c’est encore plus vrai : on va se jeter sur la moindre étincelle d’énergie pour foncer dans nos multiples projets et intérêts… et rechuter derrière (Emmanuelle Delrieu l’a bien expliqué au dernier Congrès Douance).
Une énergie sous forme de montagnes russes qui peut facilement faire penser à la bipolarité.

Alors même que physiologiquement l’organisme est encore épuisé et loin d’avoir récupéré du burn-out en réalité, on observe des pics créatifs suivi de comatage qui peuvent être déstabilisants pour soi comme pour les proches..
Et pourtant : les fluctuations d’état et d’énergie sont beaucoup plus subtiles que le laissent imaginer la lente remontée qui fait suite à un burn-out.

La récente Théorie PolyVagale du Dr Porges, présentée au dernier Congrès Douance par le Dr François Le Doze, propose une clé de lecture innovante de nos états et de notre énergie qui amène un nouvel éclairage sur ces « montagnes russes ».
La Théorie PolyVagale c’est la science du lien de confiance, de l’adaptation et de la résilience. Elle explique comment notre organisme s’adapte de façon autonome (tout seul, sans intervention consciente) au niveau de menace perçue.
On a longtemps cru le stress associé à deux voies nerveuses opposées, le sympathique accélérateur qui mobilise l’organisme (mais peut l’épuiser si le stress s’installe sur la durée), et la voie parasympathique de l’inhibition mais aussi du retour au calme. C’est cette dernière voie, associée au nerf vague, qui a été remise en cause par la TPV : le nerf vague n’a pas une mais deux branches (d’où le nom « polyvagal »).
Nous avons au final non pas deux mais trois états avec trois énergies très différentes :

  • Etat Vagal Ventral ou vagal nouveau : c’est l’état de pleine confiance qui s’active quand nous nous sentons en sécurité et en lien. Il est ressourçant et génère enthousiasme et motivation.
  • Etat Sympathique : actif en cas de danger perçu, c’est la voie de la réaction de lutte ou de fuite, celle qui s’active en cas de stress. Voie de mobilisation, elle est coûteuse en énergie.
  • Etat Vagal dorsal ou vagal ancien : actif en cas de danger mortel, il a pour rôle de préserver l’énergie dans le figement jusqu’à pouvoir fuir pour se préserver. C’est l’état de la récupération et du repli sur soi.

Outre nous permettre d’identifier LA voie de la résilience, l’état Vagal Ventral, la Théorie PolyVagale nous donne une lecture plus fine de nos états que notre perception de fatigue. On passe en permanence d’un à l’autre au cours de la journée. Et si après un burn-out nous sommes majoritairement dans l’état vagal dorsal donnez-nous un projet motivant et nous aurons assez facilement des percées dans le mode vagal ventral… avant de rechuter pour récupérer.
Alors oui vu de l’extérieur notre capacité à remonter si rapidement dans un état créatif et enthousiaste peut surprendre, voire dérouter, ou pointer vers la biporalité… mais la TPV offre une nouvelle clé pour se réapproprier ces fluctuations énergétiques qui peuvent être déroutantes autant pour l’individu, son entourage, et le corps médical pas toujours sensibilité à notre fonctionnement accéléré.

 

De l’importance de tomber les masques avant d’explorer ses particularités

J’utilise beaucoup la Théorie PolyVagale car elle offre un moyen très intéressant de se reconnecter à soi et ses états, plus accessibles pour moi que ne le sont les émotions, mais aussi une nouvelle clé de lecture du burn-out, qui devient la conséquence d’un sympathique forcé qui va nous épuiser jusqu’à sombrer en mode vagal dorsal prolongé.

Deux clés de lectures qui se recoupent et se rejoignent en réalité. Entre la douance, les messages contraignants et les différents faux-self (le sympathique caméléon ou le robot dorsal) nos émotions étouffées ont (plus ou moins) vite fait de jaillir dans les extrêmes, et ça fait des burn-out côté colère, des dépressions côté tristesse, de l’anxiété côté peur, et de l’euphorie côté joie… pas étonnant qu’on colle si facilement des diagnostics de bipolarité aux hypersensibles !

Certes nous avons tendance aux extrêmes, et avoir le cerveau grillé est particulièrement déstabilisant pour un esprit « effervescient » qui va chercher à retrouver son mode de fonctionnement accéléré, mais la chasse aux étiquettes prématurée peut facilement décourager… et désorienter.
A fortiori après un burn-out, quand la priorité devrait être de récupérer.

Et si on laissait passer la tempête du burn-out avant de partir en quête d’étiquettes ?
Et si on commençait par se (re)connecter à soi, ses émotions, ses états, son énergie avant de valider à tout prix sa différence ?
La connaissance avant la reconnaissance.
Un beau moyen de (re)mettre du je(u).