Comment prendre du recul par rapport à ce que nous n’aurions jamais voulu vivre ?

Un vendredi pas très différent des autres en somme, si ce n’est un temps pas très froid pour la saison, une journée qui devait être placée sous le signe de la gentillesse comme chaque année à la même date. Les promesses d’un jour de chance puisqu’il paraît que quand un 13 tombe un vendredi, cela est plutôt positif ! Et à en observer la longue file dans laquelle je me trouvais pour envoyer une lettre recommandée à la poste ce jour là, pas de doute que la loterie nationale a fait rêver des tas d’entre nous à une vie matérielle meilleure.

Et puis le vendredi soir, la perspective d’un week-end zen … Il est passé 22 heures quand je décide de fermer mon ordinateur et d’aller dormir. Effroi : Paris vit des attaques simultanées, des terroristes, des morts, une prise d’otage, différents lieux, … tout se bouscule dans ma tête. Où sont mes proches pour l’instant, quels sont mes amis qui vivent à Paris ? Je cherche l’info, comme pour me persuader que cela n’est qu’une (très) mauvaise blague. Il y a peine quelques jours, je faisais le constat que nous avions finalement été « tranquilles » depuis l’épisode Charlie Hebdo. Les nouvelles sont consternantes, les messages fleurissent sur les réseaux sociaux et les médias s’emparent de l’affaire à grande ampleur. J’échange avec une amie via skype, elle a de la famille à Paris et pas de réponse, elle est inquiète. Nous passons une heure à parler, impuissantes et consternées par la tournure des événements. Elle a finalement des nouvelles rassurantes. Je vais dormir. Au réveil, l’ampleur du désastre humain me submerge : quel sens donner à autant de morts ? S’en suivent une série de questions sur ce qui a pu pousser 8 hommes à se lancer dans une telle violence, au nom de quoi ? J’ai bien quelques pistes mais l’incompréhension reste en trame de fond. Je me sens à la fois impuissante et vulnérable face à tant de haine. Et pourtant une partie de moi est convaincue que ça n’est pas en cédant à la peur que je vais construire quoi que ce soit. Au contraire, c’est en portant un message d’espoir et en partageant ma vision que je peux faire une différence, aussi petite soit-elle dans ce monde. Comme tout un chacun d’ailleurs. Parce que la lumière sera toujours plus forte que l’ombre.

Quelques pistes pour rester aligné dans des moments comme ceux que nous vivons actuellement

  • Accueillir ses émotions : Il est tout à fait normal de vivre des émotions en de tels moments et les personnes hypersensibles sont d’autant plus touchées. Les émotions nous donnent des indicateurs sur ce que nous vivons et il est essentiel de les accueillir et de leur donner toute la place nécessaire. Ne pas les accueillir, c’est courir le risque de mettre en route une bombe à retardement et lorsqu’elles réapparaitront de les « traiter » de manière   inappropriée et de partir dans une spirale négative.
    • La tristesse nous montre combien nous sommes touchés par ces décès et cette violence, loin de ce que nous avions idéalisé.
    • La colère se mesure face à l’injustice et l’incompréhension dans cette situation. Comment des gens, sous quelque prétexte que ce soit, peuvent-ils enlever des vies, ce bien le plus précieux à des personnes qui, pour la plupart, espéraient passer une chouette soirée.
    • La peur parce qu’un tel événement nous connecte à ce qu’il y a de plus vulnérable en nous : notre manque de contrôle sur le futur.  Une fois accueillies, nos émotions ont besoin de s’apaiser pas d’être entretenues … voir les autres points pour plus de pistes.
  • Que dire à nos enfants dans un tel contexte ? Je reprends le texte que Jeanne Siaud-Facchin a posté sur Facebook ce matin. « Il est important d’échanger et de partager avec eux, avec vos mots rassurants de parents. Vous qui représentez leur base de sécurité. Car à partir de 5/6 ans ils comprendront et entendront beaucoup d’adultes autour d’eux, à l’école, dans les familles, parler de cette situation effarante. Ils peuvent avoir besoin d’exprimer leurs questions, leurs inquiétudes, leurs émotions, leurs peurs. Il sera alors essentiel d’être vraiment là pour les entendre et qu’ils sentent que vous êtes là pour les protéger. C’est ce dont ils auront le plus besoin et qui sera le plus rassurant. Sentir votre amour et votre présence. Car il n’existe pas de règle sur ce qu’il faut dire, cela dépend de chacun, du contexte, de l’âge de l’enfant, de sa personnalité. Chacun devra, et c’est difficile, trouver les mots, ses mots, le mieux possible, avec tout son coeur et la force de l’amour qui vous lie »
  • Parler et échanger : la parole est libératrice. Prenez le temps de parler de ce que vous vivez, de ce que vous ressentez avec vos proches, des amis, des collègues dans les prochains jours. Se sentir connecté et solidaire est essentiel dans de tels moments et en particulier avec des personnes avec qui vous vous sentez en confiance. Ce week-end et les jours qui suivent se vivront probablement sur un tempo plus lent que d’habitude, le temps d’intégrer ce qui peut l’être. Et sans oublier que se donner le droit d’exprimer ce que nous ressentons en tant qu’adulte, c’est aussi donner un exemple à nos enfants et les autoriser à devenir émotionnellement intelligents.
  • S’entourer de personnes positives : ouste les personnes qui vous plombent ou qui voient en cet événement la 3eme guerre mondiale en vous entrainant dans une spirale négative. Entendons-nous bien, je ne me minimise pas ce qui se passe ! Rassemblons-nous autour d’une vision constructive, le pessimisme n’a jamais aidé qui que se soit à s’en sortir.
  • Prendre de la distance avec « l’info » : une fois passé ce besoin de savoir ce qui se passe et avoir une vue sur la situation, ce sont une série de récis décrivant l’horreur et les risques les plus divers qui vont fleurir dans les médias. Cela fait vendre, c’est une réalité. Cela ne vous apporte plus rien de continuer à aller chercher de l’info, c’est une autre réalité (à moins bien sûr que vous soyez à la recherche d’un proche dont vous n’avez pas de nouvelles). La surinformation nous invite à glisser vers la peur, une très mauvaise idée pour prendre le recul nécessaire. Regardez (ou écoutez) les informations, une fois par jour et de préférence pas au réveil ou au moment d’aller dormir. Vous verrez, cela fait une vraie différence.
  • Eviter les amalgames : ça fait longtemps que je ne vais plus à l’Eglise mais je suis certaine que l’on m’a enseigné que Dieu a dit « tu ne tueras point » et je suis certaine que le Coran privilégie aussi la vie de chaque personne. Est-ce que tous les allemands sont à bannir parce qu’Hitler était Allemand ? Non bien sûr. Dans cette tragédie, des hommes sont dans une dynamique de prise de pouvoir parce qu’ils ont probablement peur et ils se servent de prétexte pour justifier leurs actes. Ne soyons pas dupes, ces prétextes servent aussi à diviser pour mieux régner. Est-ce que mon aide-ménagère va mieux nettoyer ou être digne de confiance parce qu’elle est musulmane ? Est-ce que tous mes amis belges et catholiques sont des exemples à suivre ? Chaque être humain est unique et si je continue à voir en lui le mal, je ne vais jamais l’aider à grandir. Si j’évalue la personne en terme de risque, je ne parle pas d’elle mais de moi et de mes peurs. Reprenons le temps de nous connecter à nos propres peurs et à faire le tri pour éviter de continuer à les faire porter à d’autres.
  • Faire la différence, ne fut-ce que symboliquement : de telles tragédies nécessitent de leur donner du sens pour avancer. Cela prend un temps différent en fonction de ce qui nous connecte personnellement à ces événements, à ce que cela peut réveiller chez nous. Pour certains, il sera important de s’exprimer. Pour d’autres, de se rallier à une cause à défendre, poster sur les réseaux sociaux, faire une marche silencieuse, un lâcher de ballons, …. La solidarité permet aussi de donner du sens et d’être en lien avec des personnes qui vivent des choses similaires, cela nous rassure également. Le sens et les rituels que nous voulons associer à ces actes sont personnels et divergent. Quoi qu’il en soit, je vous invite à exprimer ce qui est important pour vous, par la parole ou sous tout autre forme.
  • Se faire du bien : c’est vrai pendant toute l’année mais c’est d’autant plus important dans de tels moments. Je privilégie particulièrement tout ce qui nous connecte au corps car c’est là qu’inconsciemment nous vivons les messages de nos émotions. Etre entouré de gens que nous aimons, aller dans des lieux dans lesquels nous nous sentons bien, nous balader dans la nature, méditer, jouer avec les enfants, les animaux … tout ce qui peut vous apporter du bien.
  • Se faire accompagner : et si malgré tout votre anxiété ne diminue pas ? Vous dormez mal ? Vous êtes tout le temps sur le qui-vive, vous n’osez plus faire ce que vous faisiez jusqu’à présent ? Peut-être est-ce le moment de contacter un professionnel outillé pour vous aider à vous apaiser. Parfois, il faut peu de séance pour se sentir mieux et ça vaut vraiment la peine. Il existe une série de techniques très douces qui vous permettront de diminuer l’intensité émotionnelle.

J’aimerais terminer cet article par une citation de Gandhi « Sois le changement que veux voir dans ce monde ». Une belle manière de nous rappeler que c’est à l’intérieur de chacun d’entre nous que la différence peut commencer.