Difficile depuis quelque temps d’échapper à la vague méditative ! Pleine conscience par-ci, mindfulness par-là : habiter l’instant présent semble être devenu le nouveau diktat à la mode. La méditation devient la nouvelle thérapie de choix, voire l’art de vivre tendance. Comprenons-nous bien : je n’ai rien contre la méditation et je suis le premier à vanter ses effets pacifiant sur le psychisme, en particulier les psychismes fonctionnant à très haut régime. Ce qui me dérange, c’est d’en faire une religion – d’où elle tire son origine si je ne me trompe pas !

Derrière ce nouveau dogme se cache une méfiance fondamentale envers le mental. Et pour cause : ces petites voix animant notre esprit se laissent difficilement dompter. Elles n’en font souvent qu’à leur tête dans notre tête ! Et il est vrai qu’elles peuvent alimenter fortement le torrent des soucis et autres pensées anxiogènes. On ne compte plus le nombre d’ouvrages de développement personnel basés sur cette idée : faire taire le mental, dompter ses ruades et le rendre docile. Et c’est justement le projet sous-tendu par la méditation : laisser nos pensées autonomes aller et venir sans leur donner d’attention.

Mais il y a un prix à payer pour cela : le bonheur, rien de moins ! Parce que le bonheur, ce n’est pas uniquement des émotions agréables, mais c’est aussi le sens que l’on donne à nos actions et à notre existence. De nombreuses recherches ont permis à Daniel Kahneman, récompensé par un Prix Nobel en 2002 pour ses travaux – excusez du peu ! – de conclure que notre esprit englobe une entité expérimentant le bien-être dans l’instant présent et une autre évaluant l’ensemble de notre vécu, grâce à la mémoire, permettant de dire si oui ou non on est heureux. Expérimenter le bonheur et se dire qu’on est heureux sont deux processus distincts, parfois en déphasage complet : on peut se dire être heureux sans avoir vécu de belles expériences, et vice-versa. Même des expériences douloureuses peuvent former de beaux souvenirs, comme un accouchement.

Ainsi, à trop vouloir faire taire les petites voix peuplant notre mental, à trop les mettre en sourdine grâce à la pratique méditative, à ne plus valoriser que les sensations et l’instant présent, on finit par perdre un des ancrages essentiels de notre bonheur : nos pensées !

Pour ma part, j’aime mon activité mentale. Si je lui accorde quelques congés éphémères le temps d’une activité nécessitant toute ma concentration – appelée flux – ou d’un exercice de pleine conscience, je la chéris le reste du temps et me réjouis de sa présence désordonnée et haute en couleur : créativité, inventivité, originalité, association d’idées improbable, imagination débridée, rêverie exquise, autant de moments parfois extatiques.

Nous réconcilier avec notre mental plutôt que de vouloir le réduire au silence, apprécier son agitation plutôt que de vouloir la calmer, c’est aussi un chemin d’épanouissement, particulièrement pour toutes celles et tous ceux qui sont dotés d’un esprit hyperactif…

Article écrit par Yves-Alexandre Thalmann, orateur du congrès 2017  

www.yathalmann.ch

Livre : On a toujours une seconde chance d’être heureux, Odile Jacob, 2018.