Une anecdote : Il y a peu de temps, en voyage à l’étranger, j’ai eu la « chance » d’aller dans un parc d’attractions … pour le cerveau ! Après avoir déambulé dans des couloirs présentant des hologrammes bluffant, des trompe-l’œil saisissants, des sculptures défiant toute logique, nous voici arrivés, mon mari et moi, à l’entrée de « la maison inclinée ».

Une pièce dont le sol est incliné à quinze degrés et dont tout le mobilier compense la perspective et trompe le cerveau. Des miroirs, des tableaux aux perspectives étranges, une boule de billard qui remonte une pente où elle est censée descendre et autres détails machiavéliquement bien pensés défient la gravité et ont défié…ma dignité !

À peine un pas franchi dans la pièce et me voilà obligée de m’aplatir sur le mur du fond : « ça fait bizarre quand même, je me sens… je ne sais pas si je vais pouvoir traverser cette pièce ». Mon compagnon sourit, et avance. Je tente de faire deux pas et reviens précipitamment m’aplatir sur le mur du fond, et, sur un ton plus aigu: « ah ben non, ça va pas là, j’ai la nausée et la tête qui tourne, tu ne veux pas m’aider à sortir de là ? ». Mon cher et tendre rit doucement et sort son appareil photo. Il m’encourage à essayer encore. Je m’élance donc courageusement vers le milieu de la pièce. Le drame. J’ai du mal à tenir debout, alors je choisis de me jeter à quatre pattes sur le sol (pentu, je le rappelle). Je finis par me coucher complètement, dans une attitude de «laissez-moi mourir ici ». Mon mari est hilare et me mitraille de photos alors que moi, pourtant d’un naturel réservé, je m’entends beugler : « mais sors-moi de là, je vais m’évanouiiir, je vais vomiiir, arrêeeeeeete, ce n’est pas drôle, je veux sortiiiiiir».

Adieu, veaux, vaches, cochons et amour-propre, voici que je me mets à ramper péniblement jusqu’à l’entrée de cette fichue pièce, parce qu’elle n’est finalement qu’à trois pas (à dix lancés de coudes) de là où je me trouve ! J’arrive alors péniblement sous le panneau d’entrée qui déconseille aux personnes ayant des problèmes d’équilibre et aux femmes enceintes de faire cette attraction. Quand mon compagnon me rejoint, je lui explique le plus sérieusement du monde que voilà, maintenant c’est sûr, j’ai de graves problèmes d’équilibre, probablement une tumeur au cerveau. D’ailleurs, cet ORL ne m’avait-il pas dit de passer une IRM il y a des années ? Il avait raison, j’aurais dû le faire, mais maintenant c’est trop tard, ma tumeur est bien trop avancée etc.

Il a fallu ensuite toute une série d’éléments pour que je consente à me détendre et à ne pas téléphoner à un neurologue sur le champ :

  • que mon conjoint me dise que lui aussi avait été nauséeux, que c’était normal, que tout le monde était déstabilisé, que c’était le but même de cette attraction,
  • que je réalise que j’avais dû lire ce panneau sans m’en rendre compte avant d’entrer dans la pièce et que mon cerveau avait probablement déjà enclenché le mécanisme de la peur,
  • qu’à la sortie de cette salle, une voix enregistrée nous demande avec humour si on allait bien et nous indique les toilettes au cas où !

« Challenge your reality, baffle your brain /mettez votre sens de la réalité au défi, rendez votre cerveau perplexe», voilà ce que nous proposait cette attraction. Mon cerveau n’a pas été perplexe, il s’est insurgé ! Devant quelque chose qu’il ne maitrisait pas (une autre réalité spatiale) il m’a envoyé des signaux forts : sueurs, vertiges, nausées qui, sur une fragilité déjà présente (une petite partie de moi avait déjà peur d’avoir des problèmes d’équilibre) ont entrainé une belle panique.

De l’inconfort à la panique, au quotidien

Bien sûr, la situation relatée ci-dessus n’est pas une situation de tous les jours. Les mécanismes qu’elle a engendrés en revanche, si, il me semble. Et particulièrement chez les surdoués. Le cerveau de la personne à haut potentiel capte des tonnes de choses « non contrôlables » sans même que celle-ci ne s’en aperçoive ou ne s’arrête dessus : une variation de lumière dans un supermarché, une petite bête qui passe loin de son champ visuel, l’émotion pourtant très peu perceptible de la personne en face de lui, une minuscule incohérence dans un passage de livre ou de film etc. Plus ou moins consciemment et plus ou moins fortement, le surdoué est chaque jour déstabilisé par des informations sensorielles, émotionnelles et même intellectuelles qui engendrent des réactions physiques dont il ne sait que faire, surtout s’il ne peut pas « traiter » ces informations. Rappelons qu’une personne à haut potentiel ressent la même chose que tout le monde, en plus fort. Ce qui va faire la différence n’est pas seulement ce qu’elle ressent mais plutôt l’intensité de ce qu’elle ressent et surtout, ce qu’elle va en faire. Là où certaines vont laisser passer une petite sensation de gratouillis au fond de la gorge en la remarquant à peine, d’autres vont demander à tout le monde de vérifier si elles ne sont pas en train de gonfler parce qu’elles viennent de manger une cacahuète. Elles ne sont pas allergiques mais aujourd’hui sûrement que si et un œdème de Quincke est si vite arrivé ! Des réactions physiques peuvent aussi se déclencher à partir de situations qui perturbent l’intellect ou les émotions. Par exemple, un tel pourra être pris de vertige s’il ne trouve pas de logique à une situation ou à un propos, ou un autre le sera si cette situation ou ce propos ne repose que sur la logique. L’un ressentira un mal-être inexpliqué dans une situation du groupe quand un autre aura des réactions digestives à chaque fois qu’il partira en vacances !

Un surdoué voit beaucoup de choses, sent beaucoup, entend beaucoup, pense beaucoup, ressent beaucoup et encaisse comme il peut ces bombardements perceptifs internes et externes au quotidien. Il les régule souvent grâce à son hyper vigilance, son intelligence et sa capacité à trier toutes ces informations, consciemment ET inconsciemment. C’est quand il ne peut plus trier, soit parce qu’il y en a trop, soit parce que c’est trop intense, parce qu’il n’a pas le temps, ou parce qu’il tourne en circuit fermé avec lui-même, que ça se complique. Les émotions et les perceptions s’accumulent et la personne à haut potentiel va naviguer quelque part entre l’inconfort et la panique, l’ « à quoi bon » ou l’extrême volontarisme, l’hyper activité ou la procrastination, suivant les situations, suivant les individus.

Plusieurs stratégies alors : se couper de son corps pour ne plus ressentir (souvent sans conscience de le faire), se distraire à outrance ou fuir loin de ses ressentis (jeux vidéo, écrans, drogue, alcool, nourriture, travail, etc.), devenir sérieusement hypocondriaque et angoissé (et vivre chez son médecin ou chez son psy J), subir en étant résigné, décortiquer tout en permanence (et devenir très pénible pour soi et pour les autres), ou trouver un fonctionnement qui soulage…son fonctionnement ! Et parfois un peu de toutes ces stratégies à la fois…

Heureusement cette finesse perceptive et ses conséquences vont aussi dans l’autre sens. La beauté d’un détail que la personne à haut potentiel sera la seule à voir la comblera, évoluer dans une ambiance bienveillante lui donnera des ailes, comprendre des choses la rendra très joyeuse et toute ceci s’accompagnera de perceptions corporelles agréables (légèreté, sentiment d’espace à l’intérieur de soi, respiration ample, énergie, joie de vivre etc.). D’où l’importance de bien s’entourer, de belles choses, de belles personnes, de belles actions.

Que faire pour s’apaiser ?

Quand on parle de panique, on l’associe généralement à de grandes choses : catastrophes naturelles, mouvement de foule, crise d’hystérie, accidents… Mais pour certaines personnes surdouées, la panique est à fleur de peau, toujours prête à surgir. L’anxiété qui la sous-tend, elle, est comme un bruit de fond : omniprésente, parfois discrète, presque imperceptible mais bien agissante. Elle colore tout, sa relation à elle-même, aux autres, à son environnement, ses choix, ses évitements. L’anxiété est, à mon sens, liée à toutes ces informations qu’on ne peut pas trier et qui se répercutent sur les états physiques et psychiques. NON, ce n’est pas la nature des surdoués, NON, ce n’est pas inéluctable, OUI, on peut y faire quelque chose. Si j’ai développé quelques pistes lors de la conférence du congrès de la douance 2017, je me contenterai ici de ne parler que de la méditation. J’en entends déjà certains dire « oh non, pitié, pas encore la méditation ! ». Je sais, je sais, et pourtant…S’il y a autant de formes de surdouement que de personnes surdouées, il y a autant de formes et d’idées sur la méditation que de méditant ! Pourtant, un nombre incommensurable d’idées reçues persistent et font que la méditation est encore très mal comprise. Pour moi et beaucoup d’autres, la méditation est avant tout une posture, celle d’être en lien avec soi-même, avec la vérité de soi-même, à l’intérieur, avec ses pensées, son corps, ses émotions. C’est faire contrepoids à cette vie moderne qui nous contraint à être beaucoup à l’extérieur de nous-même, à être pressés, à souvent nous perdre, dans nos activités, dans nos relations. Ce n’est pas une chose supplémentaire à ajouter à notre to do list. Ce n’est pas une activité miracle qui va nous guérir de tout (la preuve en début de cet article !). Comme le dit Yves-Alexandre Thalmann, elle ne doit pas non plus être quelque chose d’utilitaire qui a pour but de faire taire nos pensées ou nos émotions ! C’est presque tout l’inverse en réalité. Personnellement, ma pensée n’est jamais plus affutée, créatrice et intelligente que lorsque je médite ! Justement parce que cette pensée est moins parasitée par « l’autre » pensée (après un peu de pratique guidée), celle de l’anxiété, celle qui doit trier dans l’urgence, toutes ces choses incontrôlables qui lui parviennent. Méditer c’est, pour un moment, rester avec soi-même, en soi-même et être en lien avec ce qu’il s’y passe, sans essayer de changer quoi que ce soit. Rester avec ce que nous percevons de l’intérieur et de l’extérieur, en temps réel, tout en mettant notre corps au repos, dans un environnement tranquille. Le corps est immobile ou bouge très lentement (suivant le type de méditation) et peut enfin prendre son temps pour traiter, trier les informations présentes. Il ne s’agit pas de diminuer les pensées et les émotions, il s’agit plutôt de donner au corps la même importance. La méditation n’est pas qu’une gymnastique de l’esprit, elle donne avant tout une autre place au corps ! C’est parce qu’on permet au corps d’être à l’arrêt, tranquille, sans pour autant dormir, qu’il peut nous délivrer sa sagesse. Un corps immobile et attentif, permet d’observer toute chose à partir de cette tranquillité, à partir de cet espace en nous qui n’appartient qu’à nous. C’est aussi vrai pour les corps douloureux ou les esprits agités ! Le corps peut, petit à petit, apprendre à avoir moins peur de toutes les informations qui l’assaillent. Pourquoi ? Parce qu’on lui donne le temps de les traiter différemment. À partir d’un espace en soi « abrité », plus profond, plus singulier. Parce que nous nous autorisons un moment à ne plus être dans l’urgence, à ne plus être contraints par une activité ou des interactions sociales, à ne plus être en faux-self ou en hyper adaptabilité, notre cerveau peut enfin prendre un peu de recul et observer avec plus de sérénité ce qui se passe en lui et autour de lui. Alors, il est vrai que pour un bon nombre de personnes surdouées, la proposition d’être en lien avec l’intérieur de soi équivaut à se retrouver dans une pièce inclinée à quinze degrés ! Un surdoué est souvent tourné vers l’extérieur, par curiosité, par appétit de la vie, par besoin d’être aimé, d’être rassuré, par anxiété. Sa manière d’être au monde est souvent basée sur l’hyper vigilance, pour ne pas se laisser engloutir par toutes ses perceptions qui le dépassent, pour pouvoir être capable de les trier en temps réel. Lui proposer de faire autrement, en étant davantage en lien avec l’intérieur qu’avec l’extérieur, peut-être tout à fait anxiogène ou ennuyeux, puisque c’est justement l’intérieur de lui-même qu’il a tendance à vouloir fuir, ne sachant pas comment faire avec son avalanche de pensées, d’émotions et de perceptions ! Et quand on ajoute les représentations erronées que l’on en a, cela donne souvent ce genre de réaction : « la méditation ce n’est pas pour moi, j’ai trop besoin de bouger, je meurs d’ennui quand je médite, je n’ai pas le temps, j’ai trop de choses dans ma tête, je n’arrive pas à ne penser à rien, ça m’angoisse, j’ai essayé mais ça ne marche pas sur moi etc. ». Et nous comprenons mieux pourquoi…

Les personnes à haut potentiel qui développent leur intelligence corporelle et la « hissent » au niveau de leurs intelligences intellectuelle et émotionnelle, qui travaillent ainsi à atténuer leur prédominance de fonctionnement, témoignent d’un plus grand apaisement. L’anxiété peut ne pas disparaître mais, petit à petit, elle devient moins fréquente, moins intense, elle dure moins longtemps et surtout, elle laisse place à autre chose. À chacun de trouver ainsi les outils qui lui correspondent, une forme de méditation ou une autre, ou toute autre approche corporelle ou psychocorporelle.

Article écrit par Julie Lassalle-Ellul, orateur du congrès 2016

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