Les émotions, qu’est-ce que c’est?
Notre vie émotionnelle n’est pas aussi foisonnante qu’on pourrait le penser. Il existe surtout quatre émotions de base : la peur, la colère, la tristesse et la joie. Les autres étiquettes correspondent à des associations de ces réactions de fond et à des contextes spécifiques. Les émotions dites négatives, celles qui nous empoisonnent le plus la vie, font en réalité partie de notre réaction instinctive au stress, quand notre intégrité physique ou psychique est menacée.
Ainsi, la présence d’un prédateur conduit soit à fuir, soit à se battre, soit à s’immobiliser et à faire le mort, en fonction des possibilités. C’est ce qu’on observe dans le monde animal où l’enjeu est surtout la survie physique, mais cela fonctionne exactement de la même manière chez les humains, pour des problématiques par contre nettement plus souvent d’ordre psychique. Les émotions sont donc des signaux envoyés par notre corps à notre cerveau, et plus précisément à notre conscience, afin de l’aider à traiter certaines informations sur notre environnement et à agir en conséquence pour notre préservation.
Parties intégrantes de notre système instinctif de survie, cela n’a donc guère de sens de vouloir s’en débarrasser ou de trier celles qui nous conviennent au détriment de celles qui nous importunent. Il est au contraire impératif pour notre santé d’apprendre à les écouter et à décrypter correctement leur message. En effet, en l’absence d’un tel traitement, le corps demeure en situation de stress puisque le cerveau ne fait rien pour l’en sortir. La tension émotionnelle s’accroit, elle persiste, devient de plus en plus inconfortable, et ce stress non réglé dans la durée finit par nous rendre malades.
Comment en viennent-elles à nous perturber à ce point ?
Donc si on est assailli d’émotions intenses, persistantes, qui paraissent dévastatrices, c’est qu’il y a un message de départ qui n’a pas été entendu. Comment en arrive-t-on là ? Cela a toutes les chances de remonter à notre enfance. Notre gestion émotionnelle au quotidien est en effet fondamentalement régie par les expériences familiales que nous avons vécues par le passé, ce que l’on nous a autorisés et appris à ressentir et à exprimer. Cela se rapporte à toutes sortes de situations génératrices de stress, mais plus globalement et fondamentalement à la manière dont nos proches ont accueilli notre ressenti à leur égard, concernant la satisfaction de notre besoin instinctif d’attachement.
Celui-ci correspond au besoin vital d’être protégé et aimé, à celui d’être écouté, entendu, compris et soutenu de manière cohérente dans la durée. Lorsqu’il n’est pas satisfait dans les premières années, cela engendre une grande colère de ne pas être respecté. Si cette colère ne peut pas s’exprimer car plane la menace d’un retrait d’amour et d’un abandon, inconcevables pour la survie, la virulence fait place à la désillusion, à la tristesse d’une relation authentique manquée, qui finit par se muer en distance et en retrait émotionnel protecteur. Lorsque persiste l’espoir d’être entendu cependant, mais à condition de faire des efforts pour y arriver, cette fois c’est la peur qui est durable, l’anxiété de ne pas parvenir à faire ce qu’il faut pour obtenir l’attention vitale, avec le risque d’être abandonné à son sort en cas d’échec.
Lorsqu’on se sent anxieux et apeuré en tant qu’adulte, lorsque l’on a l’impression d’être toujours en colère ou déprimé en permanence, il y a donc de fortes chances pour que des événements actuels déclenchent des réactions émotionnelles, surchargées d’affects passés non reconnus et traités pour eux-mêmes. C’est comme si on ouvrait une boite de Pandore que l’on a bien du mal à refermer, sans comprendre pourquoi. Pas étonnant de trouver alors les émotions dévastatrices et de vouloir tout tenter pour s’en débarrasser ! Mais il y a plus préoccupant encore…
Le surdoué, ses spécificités et l’enfer de la honte
En effet, derrière ce que je viens d’expliquer se cache la honte, une émotion cette fois véritablement dévastatrice, mélange toxique de peur et de colère envers autrui. C’est l’émotion la plus pénible qui soit, celle que l’on fait tout pour éviter de ressentir et d’affronter, une douleur morale semblable à la douleur physique dont elle partage les circuits nerveux. La honte, c’est le regard négatif de l’autre que l’on intériorise, celui qui autrefois a critiqué, dévalorisé, rejeté, donnant envie de disparaitre dans un trou de souris, un parent aimé le plus souvent, regard que l’on retrouve dans les yeux de tous ceux que l’on rencontre par la suite, incapable alors d’imaginer leur bienveillance et leur compréhension…
Ainsi le surdoué, non comblé dans son besoin d’attachement, va avoir honte, de ses émotions, de ses différences, de ses difficultés et de ses échecs. Il va avoir honte de lui-même, de son reflet négatif dans les yeux des autres. Il va avoir peur d’eux, de leurs jugements, de leurs critiques, de leurs exigences et va leur en vouloir de le traiter ainsi, même si cela n’a plus vraiment de réalité. Il va être en colère contre lui-même, de ne pas être à la hauteur, d’être si différent malgré ses efforts. Bref, il ne va pas s’aimer et va avoir des difficultés à se trouver aimable et à se laisser approcher…
Alors, on peut évoquer le fait que les surdoués sont différents, que leur traitement accéléré de l’information et l’acuité de leurs perceptions, leur provoquent des réactions émotionnelles plus exacerbées que la moyenne. Ou que leur approche globale associée à une capacité très développée de raisonnement les conduit à davantage anticiper des issues négatives, avec un risque accru d’anxiété. Mais ce serait oublier que c’est dans ses jeunes années et au contact de ses proches que l’enfant, surdoué ou pas, apprend à gérer ses émotions, à ne pas se laisser déborder par elles, car il est aidé à en tenir compte, à les nommer et à agir en conséquence. C’est là que, grâce à des parents attentifs, il devient apte à se dire qu’il peut faire face à ce qui lui arrive, que d’autres sont là pour lui venir en aide et que le monde n’est pas une source perpétuelle de menaces. Donc, un surdoué qui a été bien entouré n’a aucune raison d’être outre mesure anxieux, ni trop sensible, si tant est que cette expression ait véritablement un sens.
On peut aussi évoquer les difficultés relationnelles accrues rencontrées par les surdoués. Ce sont censés être des enfants plus « difficiles », avec des besoins « spéciaux » liés à leur intelligence vive et à leur curiosité insatiable. Mais je suis persuadée que des parents ayant à cœur de prêter attention à leur enfant, ou des enseignants bienveillants, sont parfaitement à même de faire face à une telle situation, quitte à recadrer gentiment l’enfant lorsqu’ils atteignent leurs limites. Il reste les camarades de classe, pas forcément enclins à accepter l’originalité et les différences, dont le rejet peut se révéler très blessant. Mais là encore, l’attention et l’écoute des parents à la maison limitent l’impact psychique de telles réactions, et des études ont montré qu’un surdoué bien dans sa peau par ailleurs peut être parfaitement intégré et apprécié dans sa classe. Sinon, il peut aussi en changer…
À l’inverse, privé de ce soutien familial essentiel, le surdoué incompris et honteux devient une boule d’anxiété, de colère et de tristesse, prêt aux pires extrémités. Il pourra camoufler son mal-être sous une apparence souriante et décontractée visant à donner le change et à avoir la paix, ou alors se protéger par la rationalisation, la prise de hauteur et le sarcasme, étanche en apparence à toute implication autre qu’intellectuelle, autiste aux demandes humaines qui l’entourent, comme son environnement familial l’aura été aux siennes…
En pratique…
Parents d’enfants surdoués : apprenez à accueillir le vécu émotionnel de vos enfants et adolescents, même si c’est parfois difficile et que cela ne veut pas dire tout leur céder. Apprenez-leur à nommer correctement leurs émotions, à mettre des mots sur leur ressenti, à raconter autre chose que du factuel ou de l’intellectuel, et surtout évitez de leur faire honte. Expliquez-leur aussi qu’ils sont différents des autres, que ce n’est pas facile à vivre tous les jours, mais qu’il est important qu’ils acceptent les règles de leur environnement sous peine d’en être totalement exclus. Ils pourront toujours cultiver leur jardin secret par ailleurs et avoir votre appui en cela. Pensez aussi à vous interroger sur votre propre vécu dans votre enfance…
Adultes surdoués, qui vous connaissez comme tels ou qui vous découvrez : prenez le temps de vous écouter, d’analyser précisément ce que vos émotions vous signalent. Appuyez-vous sur votre raison pour réfléchir aux manques affectifs et relationnels dont vous avez souffert dans votre jeunesse, et débusquez la honte qui vous empêche d’avancer. Vous découvrirez alors combien vos émotions de base sont précieuses, combien elles sont là pour vous aider et vous protéger, et elles cesseront de vous perturber parce que vous n’y avez pas répondu en temps voulu…
Pour vous accompagner dans ce cheminement, vous pouvez vous appuyer sur les écrits de John Bowlby, découvreur des principes de l’attachement et de la gestion émotionnelle qui en découle, en particulier ses recueils de conférences, même si leurs titres ne l’indiquent pas. Mes propres livres sont aussi consacrés à ces thèmes, abordés sous différents angles et à divers niveaux de vulgarisation. Comme vous l’aurez compris, même si les surdoués sont différents, leurs problématiques d’attachement sont identiques à celles des autres et ces ouvrages peuvent leur être d’un grand secours.
Article écrit par Yvane Wiart, oratrice du congrès 2016 et 2017
Je suis toujours très touchée quand je lis les articles d’Yvane, c’est pour moi à chaque fois une piqûre de rappel qui éclaire mon passé en m’ouvrant sur mon présent et mon futur en me ré -assurant. ..merci pour ce partage.
Merci pour cette claire et judicieuse explication qui m’encourage à continuer à débusquer la honte!
Belle miseen perspective et équilibre de ce profil sensible et émotionnel ni pire ni meilleur qu un autre, juste le nôtre à accueillir, effectivement un manque d accompagnement dans l enfance, une defaillance de gainage affectif et psychologique entraînent ces perturbations, je le vois dans les enfants que j accompagne et surtout chez moi même, ma première matiere de travail c est moi même ! !!
Pas toujours simple mais passionnant..
Clothilde colin
Pesrsonnelement je suis tres touchee après cette lecture.
Cet article décris toute mon enfance et cela
me bouleverse énormément
Merci pour ce partage
Bien à vous
L’un de mes souhaits ne plus m’entendre dire que je prends tout au pied de la lettre !!!
Un autre Que j’ai tout pour être heureuse !!!
Un souhait qui m’est cher laisser parler mon cœur librement et s’échapper ma liberté de penser…
Laisser exploser mon émotion à l’état pur sans jugement…
Pouvoir parler de mon émotivité sans jugement mais dans la compréhension et le soutien…
Ainsi he pourrai laisser aller mon imagination ma réflexion et ma créativité…
Aimer les personnes que j’ai besoin d’aimer, ne rien devoir à personne, balayer le passé douloureux…
Oui je suis convaincue que l’intelligence émotionnelle est la plus juste…
On ne triche pas avec les émotions,
Oui c’est un haut potentiel inconnu des gens dans la norme, ou oublié volontairement !
Mais aucune place n’est à convoiter, l’unique voie étant celle que la nature nous offre dans tous les domaines et dont nous devons prendre soin en occultant le confort matérialiste destructeur…
Certes l’évolution de l’homme sera toujours en mouvement mais apprenons lui à maîtriser… Moi je l’ai compris !
Surdoué, hypersensible, honte d’être différent, ne pas m’aimer, mes émotions prennent le dessus, pleure, colère contre moi même, ne pas être compris cela est très difficile à vivre.
J’ai enfin compris pourquoi toute cette tristesse en moi, en apprenant et cherchant des réponses à mon mal être.
Oui être surdoué est une richesse, du moment où l’on comprend notre mode de fonctionnement, et que l’on acquiert notre liberté.
Nos émotions sont comme un grand livre ouvert, elles ne mentent pas ni ne trichent, trop difficile de les cacher.
Les autres personnes comme nous les hypersensibles, c’est que je nommerai les normaux pensants, ne peuvent pas comprendre notre décalage.
notre intelligence vient du cœur avec tout son ensemble d’émotions et de ressenti.
Quand on aime on ne fait pas semblant, c’est ce qui est le plus douloureux pour moi.
Comme Marielle je pense que notre voie est d’être au cœur de la nature être en harmonie avec elle, je ne suis pas matérialiste car trop destructeur.
Le surdoué n’a pas sa place dans ce monde capitaliste à celui qui aura la plus grosse voiture vivre de nos ressentis, de nos petits bonheurs à nous,.
Trop souvent jugé comme idéaliste, de vivre dans un monde de bisounours nous sommes quand même les proies de ce système où la moquerie et la non compréhension de la différence est reine.
Sommes nous condamnés à souffrir de la non compréhension des normaux pensants ??
Selon moi, la culpabilité et la honte sont deux régulateurs sociaux qui permettent une certaine forme d’introspection par rapport à nos actes et, par extension, une limite des actes nocifs ou destructeurs. La culpabilité est mieux établie dans les sociétés individualistes (Amérique du Nord, Europe de l’Ouest, etc.) tandis que la honte est plus répandue dans les sociétés où l’intérêt du groupe ou de la famille l’emporte sur celui de l’individu (Japon, Europe méridionale, etc.)
La différence entre les deux c’est que la culpabilité peut être ressentie suite à des actions qui, de fait, ont été négatives. Rien de plus normal et il suffira de redresser la barre et de corriger. Par contre, la honte est, comme le dit justement l’auteur « le regard négatif de l’autre que l’on intériorise » ; c’est-à-dire qu’on peut la ressentir même quand on n’est coupable de rien du tout. Culturellement, elle peut être d’autant plus lourde qu’elle entache aussi les membres de la famille, par exemple, eux qui sont aussi innocents que nous, le cas échéant.
Même si ces deux régulateurs moraux me semblent nécessaires à la bonne marche de sociétés composées d’humains, donc d’êtres imparfaits, la honte peut entraîner des conséquences plus graves. Je ne connais pas le Japon mais on dit que le suicide semble y être un moyen assez répandu de « laver » un sentiment de honte.
Le HP, d’où qu’il vienne, qui est brutalement conscient de son environnement et souvent exagérément protecteur, aura tendance à surenchérir et à se blâmer pour un oui pour un non. Maintenant, si la honte n’est que le résultat de la perception que l’autre a de mes actions, il suffirait, dans l’absolu, d’ignorer complètement son opinion et de vivre ma vie comme je l’entends. Plus facile à dire qu’à faire, mais pas impossible. Je ne vois pas la honte comme un « mélange toxique de peur et de colère envers autrui » ; je pense par contre qu’il s’agit d’un tribunal intériorisé dans lequel on serait à la fois le juge, le procureur et l’accusé ; ce qui évidemment ne pourrait qu’entraîner de graves erreurs judiciaires.