La haute sensibilité passe encore pour de la fragilité, voire de la faiblesse, dans cette société d’hypercontrôle. Or “chevauchée“ elle offre une précieuse porosité à même d’ouvrir à l’intuition. De se transformer en don.
En rebond. Marie-Pierre Dillenseger, praticienne des arts chinois, nous partage les déclics vitaux qui lui ont donné la force de s’incarner.

De la fragilité à la réceptivité

Dans le chaos contemporain, la sensibilité élevée, que cette “perceptive“ qui a un rare savoir de l’insaisissable connaît bien, loin d’être une faiblesse est un sacré atout.
Souvent perçue comme une fragilité (par soi-même et par les autres), cette sensitivité à fleur de peau – fréquemment associée à la douance – devient féconde pour peu que nous l’apprivoisions. Elle laisse alors passer la lumière de l’inspiration et les murmures de l’intuition, mais aussi la magie de l’empathie. Cette réceptivité fine permet de mieux sentir l’“à-venir“, si difficile à percevoir dans l’incertitude radicale que nous traversons, pour réinventer et réenchanter notre monde qui ne tourne plus rond.

Dans notre société matérialiste, nous doutons trop souvent de nos ressentis. Cela bloque nos capacités sensibles“, regrette Marie-Pierre Dillenseger, à la lumière de son expérience de praticienne habituée à accompagner le changement, donc les résistances qu’il éveille.

Or, au regard des défis actuels qui nous demandent d’être agiles, autant que créatifs et inspirés, il est grand temps de guérir de la “blessure rationnelle“ (dixit la psychologue Marie de Hennezel). C’est d’autant plus vrai en tant que haut potentiel, où le cerveau, tournant à plein régime, balaie d’un revers de mental les secousses sismiques des
émotions, intuitions et perceptions. À travers les pratiques qu’elle enseigne, nourries par les mues de son parcours,
Marie-Pierre Dillenseger propose de “court-circuiter la force du cerveau gauche“. Du moins d’en faire un allié, plutôt
qu’un tyran avide de bâillonner cette ouverture sensitive, capable de capter l’intangible.

Apprivoiser l’entre-deux

Depuis l’enfance, Marie-Pierre Dillenseger apprivoise cette sensibilité à haute fréquence, à même d’ouvrir à l’invisible. Ces perceptions, courantes chez les ultrasensibles, participent à leur fréquent sentiment de décalage et de solitude, les poussant bien souvent à refouler ces capacités… jusqu’à ce qu’un événement de vie, généralement une épreuve (personnelle ou collective, à l’image de cette crise sanitaire), ne vienne les réveiller et les révéler au grand jour. Chez Marie-Pierre Dillenseger, ce décalage a été accentué par un secret de famille. Officiellement enfant
unique, elle apprendra qu’elle était entourée de deux frères prénommés Paul, l’un la précédant, l’autre la suivant, morts lors de fausses couches tardives. “Je suis née un an après la perte de l’aîné. Ma venue au monde coïncide avec la date anniversaire de cette fausse couche. Ma mère ne me souhaitait donc pas mon anniversaire, ou se trompait de date. Cela m’a valu des années d’analyse !“

Bien qu’inconfortable, cette position “entre-deux“ (au propre comme au figuré) a exacerbé sa réceptivité. Elle en a fait une force. “Je me sentais entourée d’une présence… D’une certaine manière, mes frères ont toujours été là“, confie-t-elle. Petite, elle passait ses vacances seule avec son grand-père, un chien et un chat, sur les contreforts d’un village lorrain. “Je dormais à l’étage, où un poêle projetait les lueurs du feu sur les murs. En m’endormant, il m’arrivait de voir des chevaliers traverser la pièce…“

Lorsqu’elle en parle à son grand-père, il l’écoute et lui confirme qu’une porte existait auparavant, là d’où sortent
les chevaliers de ses visions nocturnes. Elle apprend aussi que ce village fut un point de départ pour les croisades. “L’essentiel, c’est que l’adulte ne m’a pas contredite. Il est important de faire de la place à l’invisible, de ne pas railler ni traiter d’affabulateur un enfant hautement sensible qui dit (perce)voir des choses. Sinon, il aura tendance à se
renfermer et verrouiller ses perceptions“, souligne celle qui accompagne aujourd’hui tant d’adultes désireux de se rouvrir à cette acuité (extra)sensorielle.

le chant du signe

C’est aussi chez ce grand-père, qui laissait sa bibliothèque en libre accès pour lui ouvrir l’esprit, qu’elle côtoie ses
premières “chinoiseries“ (sic), à travers des objets en provenance d’Asie et des livres de Pearl Buck. “Lorsque je suis allée en Chine pour la première fois, j’étais chez moi… Les portes se sont ouvertes. Je ne sais pas si c’est grâce aux coupelles et autres paravents chinois que je côtoyais chez mon grand-père, mais ma passion pour la Chine s’est éveillée.“ Elle éprouve alors cette sensation, irréfutable, d’être à sa juste place. “Ce ressenti intime qui fait que l’on ne se pose plus de question“, s’enthousiasme-t-elle.

Au diapason de ce vécu, elle encourage à mettre notre sensibilité au service de notre évolution. De notre éveil.
En professionnelle des arts stratégiques chinois – pour lesquels les crises sont perçues comme des opportunités -, elle nous invite à lire entre les signes. “À l’articulation des phases de vie, surviennent des événements (épreuves, rencontres, etc.) qui tentent de provoquer des prises de conscience. Vous avez le choix de les repérer comme de
simples coïncidences ou comme des signes – des cailloux sur un chemin dont vous ne percevez peut-être pas encore clairement l’horizon. Souvent, si vous résistez fortement à ces signes, l’univers appuie sur le champignon, si j’ose dire, et cherche, par d’autres événements et synchronicités, à vous confronter à vos compétences.“ Elle regrette d’ailleurs
que notre monde occidental n’enseigne pas à percevoir le “chant“ du signe, le message qu’il cherche à nous
délivrer, notamment par peur de l’invisible. “En Chine, on a un rapport plus décomplexé, plus fluide, à l’invisible, aux signes, aux aïeux, à l’âme des lieux“, observe-t-elle.

Et de citer Léonard de Vinci : “Il existe trois catégories de personnes : celles qui voient, celles qui voient ce qu’on
leur montre, et celles qui ne voient pas.“ Notre humanité désorientée a perdu de vue la valeur ajoutée de la haute sensibilité qui offre de “voir“ au-delà du tangible. De faire de l’or de nos percées intuitives et de nos fulgurances.

La maladie, le yi king et l’écorce des arbres

Les déclics qui ont infléchi son destin se cachent pour la plupart dans les replis et les répliques de la maladie.
“Il arrive que la maladie déploie la vie“, partage-t-elle. À 6 ans, son premier vrai contact avec la Chine se fera à travers l’acupuncture.

Souffrant de rhumatisme articulaire, elle reçoit des piqûres de pénicilline, “affreusement douloureuses“. Au point de s’enfermer dans une pièce lorsque l’infirmière veut la soigner… L’acupuncture se présente comme une alternative, décriée par les amis de ses parents à une époque où cette technique est encore peu pratiquée en France.
J’ai découvert la sérénité asiatique avec cet acupuncteur chinois de Colmar qui ne disait pas un mot… En quelques
aiguilles placées à des endroits-clés des méridiens, j’ai guéri en trois semaines. Cette danse avec le subtil m’a apporté une autre approche de l’invisible“, analyse-t-elle.

Plus tard, alors que sa fille est encore petite, Marie-Pierre Dillenseger chute dans l’escalier. Les radios révèlent des taches suspectes sur le foie. Le médecin lui annonce tout de go qu’il lui reste trois mois à vivre… “Rentrée chez moi, je me suis dit : « Et si ce n’était pas vrai ? » Chef de projet dans une grosse entreprise aux États-Unis, je me suis fait la promesse, si j’en réchappais, de lâcher mon travail et de m’investir dans les disciplines chinoises qui m’intéressaient déjà, mais que je pratiquais en dilettante.“ Opérée, on lui enlève la moitié du foie (“un organe qui se reconstitue“) et la vésicule biliaire. Au réveil, l’anesthésiste, atterré, lui annonce qu’au beau milieu de l’opération, elle s’est relevée pour clamer : “Je ne veux pas mourir !“. Cette femme qui tient ses promesses s’en sort… et, malgré son état de faiblesse, trouve le courage de démissionner.

On est en 1994, Marie-Pierre Dillenseger se lance dans le Feng Shui avec une vision radicalement différente de celle des magazines féminins qui cantonnent cette discipline, fraîchement débarquée en Occident, au choix des couleurs et de la décoration. “Le Feng Shui est un art de la guerre appliqué à l’espace : il s’agit de positionner les ‘ troupes’ en fonction de celui-ci. On ne le pratique pas pour être bien dans sa maison ; il y a une problématique, on met en place une méthodologie et si ça marche, on constate qu’il y a un avant et un après.“ En bonne “matheuse“, elle doute pourtant et se donne un an pour se prouver que… c’est du vent. Force est de constater, résultats à l’appui, que ça n’en est pas ! Elle s’installe donc officiellement et se spécialise en arts stratégiques chinois. “La maladie m’a mis le pied à l’étrier. Ce qui est fabuleux, c’est que pour mon maître chinois, la mort rôdait sur cette période de ma vie. Si je traduis de l’anglais, il m’a parlé d’une mort symbolique : quelque chose en moi devait mourir. Sans doute cette part de moi fondamentalement rationnelle. Alors qu’un Occidental, lui, aurait assimilé ses mots à la mort totale…“ La maladie viendra encore la confronter à l’orée de la crise du SARS-CoV-2, en janvier 2020. Pour la première fois, Marie-Pierre Dillenseger se sent partir.

Contre toute attente, alors qu’elle est funambule entre les mondes, une conscience indicible négocie et lui enjoigne d’écrire. Un frémissement de vie la saisit. “Quelques mois auparavant, j’avais publié ‘Oser s’accomplir pour partager mes outils d’accompagnement’, affinés par des années de pratique. Là, il s’agissait d’écrire un livre pour accompagner le désir ou plutôt le besoin de changement. Individuel et collectif. Toute crise est une épreuve au sens chevaleresque du terme…“. Dans les chaos et les éclats de lumière de son chemin de vie, le livre qui l’a le plus aidée à rebondir est le Yi King, le Livre des transformations qu’elle découvre à 17 ans. “Ce texte de sagesse chinoise m’a appris la patience, l’importance du recul et l’ajustement quotidien avec les forces extérieures“. Mais ce tour d’horizon de ses déclics sensibles ne serait pas complet sans évoquer les “outils-talismans“ qui l’aident à s’ancrer contre vents et marées.

“Je vais avoir, par exemple, un morceau d’écorce d’arbre en poche. Lorsque je me sens déstabilisée, dans une sensibilité exacerbée, toucher cet objet qui symbolise l’arbre me reconnecte à mon ancrage.“ Elle nous conseille donc
d’identifier un objet (un galet, un coquillage, etc.) qui nous relie physiquement à la mémoire de l’ancrage, à notre terre d’origine ou d’élection. Son morceau d’écorce ne provient d’ailleurs pas de n’importe quel arbre… Depuis qu’elle a trouvé “sa“ terre à Cape Cod, sur la côte est des États-Unis, elle a élu l’arbre le plus majestueux de son jardin. Cet épicéa géant ressemble à un candélabre. “Je n’ai pas connaissance d’origines amérindiennes, mais c’est sur cette terre que je ressens une résonance maximale.“ Résonner donc, plutôt que raisonner : tout un programme pour les hautement sensibles ! “Même si les capacités subtiles ont encore du mal à être reconnues dans notre société, ceux et celles qui ont des antennes plus hautes et plus réceptives que les autres dans un monde qui va en avoir de plus en plus besoin, seront les guides de demain. Rappelons-nous qu’un installateur d’antennes satellites serait passé pour un fou au Moyen Âge“, conclut-elle, en riant. Dont acte.

 

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